Pourquoi soutenir la neutralité ?

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit »   Article 19 de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Aujourd’hui, Internet tel qu’on le connaît et l’apprécie est en danger. Les internautes attachés à leurs usages et les fournisseurs d’accès à Internet ou FAI’s soutenus par les grands lobbies des télécommunications sont face à face.

Cette thématique n’est pas tout à fait nouvelle. Mais au moment ou une proposition de loi et un projet de révision de la Constitution ont été déposés afin de tenter de protéger la richesse des contenus sur internet, le Gsara s’empare du sujet.

Il est vrai que l’exercice est compliqué pour le législateur. Étant donné que le secteur de l’Internet est en perpétuelle évolution technologique, il faut veiller à énoncer le principe sans mettre en péril de possibles futures innovations technologiques.

Quel est ce principe ? Ce que tente de figer la proposition de loi c’est la place des FAI’s comme simple distributeur (et non comme surveillant ou responsable des publications) et une protection du citoyen et de sa vie privée. Il veut aussi à court terme protéger une certaine égalité des contenus sur la toile en restreignant les possibilités de vampirisation de la bande passante par de futures alliances entre les distributeurs (FAI’s) et les entreprises du divertissement les plus puissantes.

Comme nous l’avons détaillé au sein d’un précédent article (CT n°23 « pour un débat citoyen autour de la neutralité du Net »), la position privilégiée des FAI’s dans le schéma de distribution des informations aiguise aujourd’hui tous les appétits.  En tant que véritables portes d’entrée et de sortie sur le réseau, les FAI’s outrepassent leur rôle de simple portier (à qui l’on donne tout de même un pourboire conséquent).

La proposition de loi ambitionne donc de figer le statut du FAI’s à celui de portier afin de préserver la richesse actuelle des contenus, l’ouverture et la possibilité d’innovation qui caractérisent internet mais aussi de renforcer la vie privée du citoyen.  Définir ainsi la place et la fonction de cet acteur important dans la chaîne d’information clarifiera le schéma, garantira plus de transparence et renforcera par là notre démocratie.

Cette neutralité du portier (dans le clip nous l’appelons aussi le facteur) est d’autant plus importante que les communications via le réseau et ses possibilités d’innovation sont en constante évolution et que, de notre accès et de notre utilisation du réseau dépendra le visage du monde de demain. …

Demain,  il ne s’agira plus seulement de nos communications vocales, de notre paysage médiatique et culturel. Passeront aussi par  le numérique,  des objets  (via l’impression 3D) et peut-être après-demain des médicaments (structure moléculaire ou séquence ADN cartographiées et donc communicables à distance et reproductibles). Et pourquoi pas un hôpital entier ?  Et si tous les éléments constitutifs d’un hôpital à moitié virtuel passaient par l’impression de matériaux 3D, dont la structure serait imprimable et les plans disponibles en Open Source pour chacun ?  Un scénario d’anticipation qui n’est pas si fantaisiste.

Le réseau nous réserve encore de grandes innovations. Il est donc crucial de garder son accès le plus ouvert possible et de préserver le plus de bande-passante possible pour les citoyens qui,  sur le réseau, sont beaucoup plus innovants que gouvernements et entreprises réunis.

Après ces vertiges de l’anticipation, tentons de mettre les choses au clair :

Garantir  la neutralité du Net c’est :

À court terme,

  • illustration :  https://eau-tiede.blogspot.comDéfinir et contraindre par la loi le rôle des FAI’s à celui de simple passeur de données. Ceci pour limiter les risques de délitements commerciaux des contenus et du fonctionnement d’internet :  imaginez votre FAI passer un contrat de préférence avec, par exemple, Facebook.  Dans votre abonnement payant et limité en trafic (depuis toujours en Belgique),  les données transitant par Facebook ne seront pas comptées dans votre consommation (« c’est gratuit ! », vous dira-t-on.).  Il y a de fortes chances  que vous n’alliez pas voir si un autre réseau social pourrait vous convenir.  Il y a distorsion de la concurrence.  Et Facebook risquerait de rester leader  de son segment tant qu’il pourra financer ce type de partenariat.

Imaginez encore qu’après quelques années, votre FAI ait multiplié ce genre d’alliances commerciales avec Walt Disney, RTL, la nouvelle Gazette, YouTube, le journal Le Soir et SonyGames.  Vous aurez de quoi consommer médiatiquement pour un prix toujours raisonnable. Par contre, pour avoir accès aux autres contenus à une vitesse raisonnable, vous devrez sans doute payer. C’est ainsi que le web pourrait très vite se transformer en une sorte de television2.0 où seuls  les contenus qui ont les moyens de payer de la Bande-Passante seront accessibles. Fini les Wikipédia  et autres idées gratuites et collaboratives….  (votre abonnement pourrait ressembler à ceci )

  • illustration :  https://eau-tiede.blogspot.comGarantir la neutralité c’est sécuriser l’architecture du web tout entier. En effet, les internets  sont des réseaux acentrés : les contenus sont à l’extérieur de l’infrastructure, sur votre disque dur ou celui d’un serveur.  Si les FAI’s deviennent producteurs des  contenus demandés, cela dénaturera l’architecture du web, le rendant davantage sujet aux pannes et aux attaques. Si les contenus sont derrière les routeurs de votre FAI et que celui-ci tombe, il n’y aura pas de chemin alternatif pour arriver au centre, aux contenus. Ce sera la panne. Le seul moyen sera d’emprunter la connexion du voisin, solidaire de votre malheur.
  • Éviter un quiproquo politique : si le fournisseur d’accès détermine en partie les contenus qui  arrivent sur votre écran (qu’il le fasse pour des raisons commerciales ou par obligation de contrôles dictées par un état ), la confiance est brisée. La suspicion s’installera et les internautes  trouveront un moyen de contourner les blocages et la censure et, petit à petit, un Internet underground, « libre »et illégal apparaitra en crypté. Le monde virtuel se divisera alors entre ceux qui y auront accès et les autres. Cela fragilisera évidemment grandement l’autorité de l’État et des institutions.illu : www.eau-rtiede.blogspot.com
  • Garantir la neutralité c’est, comme nous l’avons dit plus haut,  préserver l’innovation et les initiatives citoyennes. C’est ne pas faire une croix d’emblée sur le partage des ressources entre personnes, c’est laisser une chance à la solidarité face aux appétits des lobbys industriels.
  • Bien entendu, comme nos aînés on dû le faire pour La Poste,  contraindre les FAI’s dans leur rôle de simple portier (ou postier) c’est avant tout préserver et prolonger les principes actuels de respect de la vie privée,  de secret des correspondances, de liberté de la presse, de liberté d’expression.

 

À moyen terme,

  • Le partage massif des connaissances et des données est sans doute un des aspects les plus positifs et les plus significatifs du changement que nous a apportés le réseau. Imaginez  un  monde en 2020 où la plupart des plans de pièces détachées de nos appareils sont en téléchargement libre et libérés de leur paternité brevetée : vous pourrez enfin réparer cette imprimante qui coûte aujourd’hui moins cher à remplacer qu’à rafistoler.  Imaginez tout ce que cette petite usine dans votre garage  va pouvoir produire si elle est connectée à un vaste réseau mondial de partage et d’amélioration des plans des objets existants déjà aujourd’hui …  Et comment les coûts d’un objet partagé librement entre des milliers de personnes vont tendre très vite vers le zéro !     Imaginez et pensez aux conséquences en termes d’écologie et de gestion des déchets, en terme de rejet de co2 (qui a besoin d’une chaise l’imprime et ne l’achète plus dans un magasin qui se fournit à Madagascar) ! on parle de réappropriation des moyens de productions par le peuple.

Bien sûr, amis citoyens, cela ne fera pas plaisir à tout le monde et dans celui qui est le nôtre,  vous comprenez maintenant la résistance énorme qu’il faudra combattre pour qu’un jour cette perspective tout à fait réaliste se…réalise. ( :sad)

  • La vie politique, la gestion de la cité passe aussi, en partie,  par le Net.   Internet nous permet de nous informer, de nous grouper, de faire circuler des idées. Il serait techniquement possible de voter par internet, de participer aux débats du Sénat de n’importe où,  de proposer des textes… Qui sait ce que nous réserve l’avenir…  Les API (petites applications) qui concerneront les données de la cité devront être développées en toute transparence et reposer sur des règles saines de correspondance et de concurrence, un minimum de transparence est nécessaire. Sinon encore une fois, c’est la place et l’autorité de l’état qui sera mise à mal.

 

À long terme,

  • Garantir la sécurité des peuples : Les exemples chinois, iranien ou tunisien sont assez explicites pour illustrer ce que peut être un internet à la merci d’un état.
  • Garantir la fiabilité de nos informations : on imagine facilement l’appauvrissement des informations disponibles dans un internet contrôlé par un lobby commercial (voir actuellement la polémique autour de Google-Panda.)
  • Ainsi, pour garantir à terme la sécurité et la stabilité de nos espaces d’expérimentation et de réflexion (et j’irais même jusqu’à dire de l’expression globale de nos consciences),  une  certaine transparence et un mode d’organisation plus horizontal, plus citoyen,  semblent s’imposer naturellement afin d’éviter les dérives évoquées ci-dessus.
  • En poussant ce principe de collectivisation des infrastructures  on en arrive à se rapprocher d’une conception déjà imaginée par le prometteur projet commotion: un internet sans FAI’s où  se brancher les uns aux autres serait tout simplement un acte libre et gratuit.

 

Conscient que ces perspectives d’ouverture et de partage via internet peuvent nous offrir une nouvelle économie bien plus solidaire et des cycles de productions bien plus proches des besoins réels des personnes,

Conscient que l’équilibre de nos démocraties vieillissantes dépend en partie de l’opposition que pourront opposer les citoyens face aux dérégulations induites par le lobbying des grands groupes industriels dans nos économies,

le Gsara défend aujourd’hui la neutralité du net.  Et vous ?

 

 

 

 

 

Comments are closed.