La position du PS – Rencontre avec Valérie Déom, députée fédérale (mars 2012)

Dans votre proposition de loi, quelles sont les grandes lignes d’intention ?

Dans l’esprit du texte, deux points émergent : d’une part une protection de l’utilisateur lambda, la garantie de la libre concurrence (entre FAI – Fournisseurs d’accès à Internet – principalement) afin de conserver un Internet ouvert. Sur ce point, la majorité des partis politiques belges se rejoignent.

D’autre part le maintien d’une autorité judiciaire légitime en cas d’arbitrage. Les juges devraient imposer aux FAI le blocage de contenus pédopornographiques, terroristes ou néo-nazis. Internet ne doit pas être un espace de non-droit. Je ne me considère pas comme une défenseuse extrême de la liberté de contenu ! Le projet de loi se propose donc globalement de figer le rôle actuel des FAI en tant que simple distributeurs de contenus numériques. Ceux-ci ne doivent en aucun cas être responsables juridiquement parlant des contenus illicites. Nous voulons également limiter la liberté commerciale de ces entreprises qui gèrent l’accès et la bande passante à d’uniques fins pécuniaires.

Pratiquement, comment les instances vérifieraient-elle si, dans la sphère virtuelle, les bonnes mœurs sont appliquées ?

Au moindre doute, l’enquête et le jugement seront confiés à la Justice. Concernant la méthode, je suis contre l’idée de pister les adresses IP lors, par exemple, de contrefaçon virtuelle. En effet, bien qu’engagée dans cette lutte, ma démarche veut s’affranchir de toute intrusion au sein des données personnelles des utilisateurs.

Concrètement, où en est le projet de loi aujourd’hui ?

Lorsque des propositions de loi (déposées par des députés) abordent les mêmes questions qu’un projet de loi (déposé par le gouvernement), ces propositions peuvent être jointes au débat du projet. C’est ce que fera le groupe PS avec le projet « paquet télécom ». La transposition de la directive européenne « paquet télécom »  se fait au travers d’un projet de loi qui sera déposé par le gouvernement au Parlement. En commission, le groupe PS souhaite donc déposer des amendements afin de compléter la définition de la neutralité du réseau puisque dans la directive (et donc dans le projet de loi tel qu’il sera déposé au parlement), cette conception est trop limitée.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous saisir de cet enjeu ?

Etant donné que le texte européen (le paquet télécom) laisse les FAI gérer l’offre de leurs services sans aucun principe contraignant concernant la vie privée ou une qualité d’accès minimum, la principale crainte qui nous a poussé à l’initiative se niche au sein des alliances potentielles entre les FAI et les entreprises de divertissement (ou les opérateurs). La dernière offre de Mobistar proposant l’accès gratuit à Facebook et Youtube en témoigne. Nous préfèrerons agir avant que des accords soient conclus entre eux. Les opérateurs téléphoniques ont d’ailleurs fait pression suite à la première proposition de loi : ils se sentaient menacés par celle-ci, craignant l’homogénéisation de leurs tarifs. Or, il n’en est rien ! La libre concurrence est toujours de mise mais non suffisante pour régler les questions de monopole en termes de programmation, de diffusion et d’accès à certains services. Par exemple, certains opérateurs font payer Skype afin de privilégier leurs propres services de communication en ligne. Il faut ici s’en remettre à la définition propre de la Commission européenne en termes de « libre concurrence ». En effet, tant qu’il n’y a pas de monopole global, selon elle, celle-ci est respectée. Cette vision n’implique donc pas une neutralité d’accès au net, ce qui justifie encore une fois la proposition de loi.

Ce qui peut sembler paradoxal, c’est qu’en régulant, en s’inscrivant dans un principe de neutralité, on permet justement la libre concurrence au sens sain où on l’entend: tout le monde est autorisé à produire et à diffuser du contenu à la même vitesse.

Cette liberté est donc consacrée à travers un texte contraignant. Nous pensons que des modèles économiques peuvent se construire autour de cette neutralité plus sûrement que dans un contexte libéralisé à l’extrême où les plus riches pourraient négocier et disposer de la bande passante de façon privilégiée. En effet, si les FAI font payer les éditeurs de contenus pour l’utilisation de la bande passante qu’ils génèrent chez les utilisateurs, ils iront donc chercher de l’argent auprès de l’industrie du divertissement, par exemple. Ce qui créera des alliances entre eux. Et de l’autre côté, les producteurs de contenus qui ne pourraient payer pour ce service (aujourd’hui uniquement payé par les abonnements de l’utilisateur) disparaitront petit à petit du paysage. Même si la Culture peut être considérée comme un vecteur économique important, l’économie ne doit pas prendre le pas sur ce qui est le fondement même de la Culture et d’Internet à savoir l’accessibilité, l’égalité et le partage de connaissances.

Le projet de loi vise à éviter que l’économie décide au détriment des citoyens. Or, cet outil de liberté et de communication, c’est pour le citoyen qu’il a été mis en place ! Ce que craignent les législateurs, c’est un passage à un internet à deux vitesses ainsi qu’un appauvrissement des contenus sur le net.

Qu’en est-il de la position des autres formations politiques ?

Les différents partis belges sont majoritairement d’accord sur cette proposition de loi. Le souhait réside en une non surfacturation au même titre qu’une non sous-facturation. L’exemple de Mobistar ne comptabilisant pas ce qui est utilisé comme volume de consommation pour Facebook ou pour YouTube (équivalant donc à un accès gratuit) relève de la discrimination ! En faisant cela, ils favorisent indirectement YouTube et Facebook.

Seule la N-VA n’est pas tout à fait d’accord avec ce principe de sous-facturation. En effet, c’est une vision jusqu’au-boutiste du principe. Cette loi pourrait donc être votée, même sans cet amendement. Nous sommes prêts à faire des compromis afin que le principe de la neutralité d’internet soit inscrit dans la loi belge.

Le PS et la NURPA, défenseurs d’une même cause ? En mai 2011, la NURPA (Net Users’ Rights Protection Association) avait souligné la position ambigüe du PS face à la neutralité. Quelle fut votre réaction ?

Avec sa proposition de loi, le PS va dans le sens de la NURPA. Malheureusement, nous nous sommes sentis déforcés dans nos discussions avec les FAI quand celle-ci a critiqué une apparente ambivalence entre la neutralité du net et la protection du droit d’auteur, jugée contradictoire par la NURPA. C’est en ce sens que je précise à nouveau n’être pas une extrémiste au niveau de la neutralité du net car, d’une part, « l’excès nuit en tout » et que, d’autre part, toute chose mérite d’être régulée car la liberté à outrance, cela s’appelle l’anarchie et toute anarchie mène quelque part à une dictature, à savoir la loi du plus fort.

Le principe de la neutralité du net est, selon moi, de rendre accessible, dans les mêmes conditions, n’importe quel contenu à n’importe quel type de personne. Or, la neutralité du net n’est pas synonyme de zone de non-droit. En effet, le web, comme tout autre lieu public, est soumis aux mêmes lois (par exemple, pas de propos anti-racistes) que celles régissant la vie quotidienne. Le PS défend donc la neutralité du net, tout en voulant lutter contre les contenus illégaux.

Et quid des droits d’auteurs ?

J’ai la conviction que « tout travail mérite salaire ». Le droit d’auteur est donc à protéger. Il faut lutter contre le téléchargement illégal et Internet le permet.. Cela étant dit, la notion de « copie privée » est tout à fait acceptable selon nous.

Que pensez-vous de l’action récente de la BAF (Belgian Anti-Piracy Federation), cette association qui regroupe les plus grosses entreprises du divertissement (Paramount Pictures Corporation, Sony Pictures Entertainment Inc., Twentieth Century Fox International Corporation, Universal, EMI Music Belgium, Sony BMG Music Entertainment, Warner Home Video, Warner Music Belgium, ….) et a envoyé fin 2011 une lettre de menace aux FAI, leur enjoignant de bloquer tous les accès au célèbre site ThePirateBay. En cas de non obtempération, la BAF se propose d’entamer des procédures judiciaires si le blocage n’est pas généralisé. Rappelons encore que cette menace semble fantaisiste puisqu’elle ne tient pas compte de l’avis rendu par l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne le 14 avril 2011 qui, dans le cadre de l’affaire SABAM contre Scarlet, indiquait que des mesures de filtrage ou de blocage portent atteinte aux droits fondamentaux (voir aussi le récent procès perdu par la Sabbam face à Netlog). Suite à ces attaques, la plupart des FAI ont cédé…

En effet, la SABAM lutte contre le téléchargement illégal, et le BAF aussi, cette dernière menant plus d’opérations de terrain. Le PS rejoint ces objectifs même s’il n’est pas toujours d’accord sur les méthodes (par exemple remonter, à partir d’un téléchargement, vers les adresses IP).

Comment entrevoyez-vous le futur ? On voit l’avènement de l’imprimerie 3D et la réappropriation de certains processus de fabrication par le citoyen. Les fablabs qui s’appuient sur la coopération/contribution entre chacun et sur un modèle de standards « ouverts » et disponibles en OpenSource se développent de plus en plus. Ainsi il est désormais possible de télécharger le plan 3D d’un vase ou des pièces qui composent votre imprimante elle-même et les imprimer dans votre garage. A l’horizon d’un tel modèle, quel est votre réaction ?

Concernant l’imprimerie en 3D, les marques elles-mêmes pourraient développer leur propre site (de téléchargement) qui seraient des sites légaux. L’utilisateur paierait, mais paierait moins cher (un peu comme l’achat de musique sur internet). Mais si tout le monde peut tout copier, alors, il n’y a plus de création… C’est vrai que ce sont des secteurs qui font beaucoup d’argent mais cela n’en reste pas moins des secteurs de création.

Au niveau économique, il faut quand même préserver la recherche et l’innovation. En effet, si chaque citoyen a la possibilité de meubler sa cuisine en cliquant et en reproduisant des casseroles via, par exemple, l’imprimerie 3D, il y a la moitié du monde qui sera en faillite demain, à part ceux qui ont inventé le système.

Que pensez-vous de Commotion, ce projet de logiciel libre permettant la création de réseaux sans fil à haut débit et100% autonome ? Cela fonctionne sur les fréquences wifi sans s’appuyer sur aucune infrastructure existante c’est-à-dire ni relais téléphoniques, ni câbles, ni satellites. Ces mesh (réseau d’utilisateurs interconnectés) sont mouvants, horizontaux et décentralisés puisque les utilisateurs y entrent sans passer par un FAI, devenu inutile. Cela rendrait toute surveillance ou contrôle centralisé impossible !

On vit dans une démocratie dont le principe fondamental est « ma liberté s’arrête où commence celle d’autrui ». Si l’on ne donne pas la possibilité de surveiller certaines choses, c’est la porte ouverte à la dérive, à l’anarchie et, à un moment donné, à la loi du plus fort. Ce projet peut être quelque chose de magnifique en termes économiques en permettant que chacun ait accès quasiment gratuitement à Internet. Cela peut être très utile dans certains pays souffrant d’un manque de liberté d’expression tel que la Chine. Mais, sur ces lignes « libres », il peut y avoir des messages de haine, des vidéos pédopornographiques, ce qui peut créer un marché parallèle où tout le mauvais de la société va pouvoir s’exprimer sans qu’il y ait de suivi. Est-ce qu’il faut que l’on invente quelque chose échappant à toute surveillance ? Je ne le pense pas, le danger étant trop important en termes de manipulation des masses. En effet, la liberté d’expression est une liberté fondamentale mais n’est pas une liberté absolue : on ne peut effectivement pas tenir des propos racistes. Si cela existe dans le monde réel, il n’y a pas de raison que cela n’existe pas dans le monde virtuel et que l’on crée des espaces de non-droit dans ce dernier.

Si l’idée est de rendre internet totalement gratuit, même au milieu du désert, j’applaudis des deux mains. Mais si, la conséquence de cela soit une implémentation tellement virtuelle qu’on ne sache pas l’identifier et contrôler en tant qu’espace de droit, alors, je ne pousserai pas au développement de ce logiciel, sauf si l’on peut un minimum contrôler cet espace…

Propos recueillis par Luna Litvak (mars 2012)

REACTION  DU GSARA

Si la proposition de légiférer sur le principe de neutralité est un pas essentiel dans la conservation d’un Internet ouvert à tous, l’internaute dans le contexte politique actuel, est en droit de s’inquiéter pour la façon dont le réseau et ses informations sont et seront gérées sur la toile.  Un texte contraignant les FAIs (Fournisseurs d’Accès Internet) à gérer le trafic sans discrimination suffira-t-il à éviter les dérives consuméristes et sécuritaires qui semblent actuellement menacer le média-à-tout-faire qu’est l’Internet que nous connaissons et utilisons aujourd’hui ?
Sera-ce suffisant pour garantir l’ouverture et l’innovation qui a prévalu jusqu’à présent sur la toile, pour protéger la voix et les initiatives du citoyen-internaute face à celle des grosses pointures de l’économie en ligne ?

Entre deux chaises

L’intention des formations politiques soutenant le texte de la « Neutralité du Net » est de pallier le manque d’encadrement que proposent les textes européens aujourd’hui en vigueur (ou en passe d’entrer dans les textes nationaux en vigueur). Ils souhaitent donc, pour la Belgique pouvoir « corriger le tir » sur cette question de la gestion du trafic et par-là protéger une certaine diversité des contenus créés pour d’autres raisons que le bénéfice financier. C’est un pas dans la bonne direction. Mais dans le même temps, il est selon nous temps de se pencher sur  les énormes potentialités  qu’offrira le réseau, notamment en termes de partage et de circulation de contenus et connaissances et de leur exploitation quotidienne.

La proposition de Valérie Déom répond à une dérive très contemporaine d’altérations des droits initiaux dont pouvait se prévaloir l’internaute lambda : la liberté de recevoir, mais aussi de proposer des informations et des services à la même vitesse que son voisin. Aujourd’hui les alliances commerciales entre FAIs et les grandes entreprises qui proposent du contenu mettent cet équilibre à mal et menacent ce que peut aujourd’hui proposer tout-un-chacun pour le simple prix de l’abonnement Internet (voir « pack-Belgacom-Génération » et « Mobistar Tempo Tribe »).
Mais au regard  des autres questions abordées dans l’interview ci-contre, on peut aussi s’interroger sur la nécessité d’élargir le champ de réflexion du législateur à d’autres enjeux contemporains liés à la régulation et aux  dérives inhérentes à un contexte ultra-libéral

L’Internet ouvert et innovant que nous souhaitons protéger préfigure aussi  une nouvelle façon de se libér(alis)er dans d’autres champs. Nous, citoyens internautes créons du sens mais aussi des biens tangibles : en partageant, augmentant, remixant, participant à la vie du Net nous produisons une abondance d’informations et la technologie nous invite de plus en plus à projeter ces richesses dans le monde réel (dématérialisation des supports, réalité augmentée, impression 3D, …) Et cette façon de produire ou de partager des richesses entre citoyens  menace cette chère rareté entretenue par les pratiques commerciales et posent ainsi bien d’autres questions. Cette bataille qui oppose aujourd’hui défenseurs de l’Internet ouvert (des internautes-citoyens, des associations…) et entreprises privées défendant leurs  bénéfices préfigure, à notre sens, de combats tout aussi importants qu’il faudra mener sur d’autres fronts de moins en moins virtuels.

De nombreuses questions se font de plus en plus pressantes à mesure que l’Internet permet aux citoyens de s’organiser pour produire et consommer collectivement.

En effet, comment concilier l’idée de progrès sociétal et ne pas condamner les tentatives d’intimidation qui tendent à laisser en place un système de propriété intellectuelle devenu inadapté (voire contre-productif) pour la société et ses individus (BAF) ?
Comment ne pas s’alerter du déséquilibre croissant entre ceux que l’on nomme encore les « ayants droits » (souvent des sociétés tierces qui gèrent la « propriété intellectuelle » de nombreux producteurs de contenus) et les citoyens qui ont désormais trouvé un moyen de partager massivement ces contenus sans l’aide de quiconque… Respecter et signaler la paternité d’une idée est une chose, faire payer pour son utilisation limitée en est une autre. Comment va-t-on aborder le difficile arbitrage entre le citoyen et les entreprises qui détiennent les paternités mentionnées ? Comment concilier le partage (inéluctable) massif des idées et des biens et la juste rétribution de leurs auteurs ? Quelle vision ont les partis politiques de la puissance d’un « internet libre », de ce qu’il permettra de changer dans notre monde où tant de choses restent à construire et à inventer ?

Cette proposition de loi a le mérite de vouloir fixer le principe de « Neutralité du Net » dans la Constitution belge (et c’est le seul parti qui en a eu l’initiative). Nous pensons que le pouvoir politique pourrait aussi se pencher sur la question brûlante d’actualité  du cadre juridique du partage de contenus entre personnes lui-même. (le modèle p2p). La Loi Hadopi en France est censée apporter une réponse à cette question mais de façon tout à fait insatisfaisante dans la mesure où elle criminalise le consommateur dans son usage quotidien.
Nous observons aussi que l’idée même de produit, de bien, de richesse semble ne pas pouvoir se dédouaner de la notion de paternité, de propriété. Un bénéfice commun doit-il nécessairement se mesurer à une aune sonnante et trébuchante pour quelqu’un en particulier ?

Créations citoyennes

En vérité, il est difficile pour chacun d’entre nous d’avoir une vision claire de ce qu’induira un concept tel que la « Neutralité sur Internet ». En voulant protéger la diversité des contenus et les initiatives individuelles et non-marchandes sur internet, le législateur franchit tout de même un pas et traduit sa volonté de privilégier l’utilisateur public plutôt que les grandes entreprises qui seraient assez fortes pour cannibaliser la bande passante. C’est un premier pas.
Essayons maintenant d’apporter un autre éclairage et tentons le lien entre le « monde virtuel » et la gestion bien tangible de la cité.

Du point de vue de l’innovation et de la participation citoyenne à la vie de la société (en ce compris les dimensions économiques et politiques qui régissent grandement notre vie IRL), il faut bien avouer que ce sont les individus agrégés autour de thématiques qui sont porteurs du progrès…. Ce sont les contributions de chacun, mises bout à bout qui font qu’une encyclopédie commune comme Wikipédia a vu le jour, qui font que Linux devient un système plus fiable que ceux d’entreprises qui ont d’autres intérêts que la simple efficience. Et ce succès est compréhensible car, en ces temps agités, comment faire confiance et être sûr que ce que fait tel logiciel est bien ce qu’il prétend faire ?  Pensons à la façon dont certaines entreprises (la plupart ?) envisagent leurs produits, à la façon dont le consommateur est poussé à renouveler sans cesse ses achats  via l’obsolescence programmée ou annoncée des produits… Non, ces fabricants-là ne visent pas seulement l’efficience et la satisfaction du citoyen/consommateur, l’objectif ultime, supérieur est la rentabilité comptable et le bénéfice monétaire. Alors bien sûr, voir le citoyen animé d’autres objectifs débouler dans leur pré carré de producteurs déclenche une résistance énorme de leur part.

Rentabilité sociétale, modèle économique,

Pour en revenir à la notion de « Neutralité du Net », ce combat est bel et bien importantissime ! La bataille à laquelle nous assistons aujourd’hui et qui oppose les internautes-pirates aux grandes industries de la musique ou du cinéma n’est que le prélude à une lutte qui s’étendra prochainement à d’autres champs bien plus vitaux. Pensons à la production d’objets usinés (impression 3D), l’alimentation (copyright sur les semences !), les soins de santé (renforcement des brevets sur les médicaments tels que prévu dans les premiers textes de l’Acta),..

Aujourd’hui, cet affrontement qui fait rage dans le champ culturel déborde déjà dans d’autres domaines, notamment le petit monde de la production de logiciels. Et qu’y voyons-nous ? Une défiance grandissante du citoyen envers des entreprises qui profitent d’un monopole relatif pour corrompre l’efficience de leur propre produit (logiciels espions, verrouillage des technologies, obsolescence de certains formats,…) et de l’autre côté, une montée en puissance des logiciels issus de la collaboration entre citoyens : les logiciels Open-source. En effet, quelle confiance placer dans des entreprises comme Microsoft ou Apple (au hasard, hein !?) lorsqu’il s’agit de gérer nos données personnelles ou la conduite de la voiture, ou le pilotage de ma future prothèse auditive ? Tant les Etats que les individus ont tout intérêt à adopter des logiciels dont le code est connu, transparent à l’utilisateur. Rien que pour cette raison-là, il semble que la messe soit dite : l’avenir appartient au libre ! Et puis, bien sûr si l’on parle de prix, on enfonce le clou…

Aujourd’hui, c’est toute une économie de la contribution qui redéfinit les conditions d’accès à certains biens (les logiciels : Open-Source, l’habitat : co-housing, la mobilité : co-voiturage, car-sharing,  le travail : co-working, …). C’est le modèle du P2P (pair-à-pair) : on partage les ressources accessibles dans le réseau. On les utilise ainsi mieux, c’est-à-dire plus et avec moins de gaspillage en énergie et en matières premières. Les choses ainsi créées et partagées ne sont plus rares, elles sont abondantes et donc leur prix s’écroule. Mais leur valeur intrinsèque (l’utilisation que l’on en fait) est intacte. Cette dimension des possibles utilisations partagées de nos ressources qu’Internet rend de plus en plus accessible à chacun est une option politique et économique à ne pas manquer ! Le Gsara tentera d’ailleurs au cours de l’année 2012 de sensibiliser et de « capaciter » les citoyens à cette économie alternative en plein essor.

Cette perspective fait trembler le modèle économique actuel, c’est logique. Et avec lui, frémissent les modèles de gestion politiques… Mais n’avons-nous pas encore pris conscience que nos ressources et notre espace vital sont limités, que la seule urgence politique véritable est écologique ? Faut-il voir l’affirmation de Valérie Déom «  […] via l’imprimerie 3D, il y a la moitié du monde qui sera en faillite (ndlr : économique) demain ! » comme une fatalité ? En tant qu’entité pensante de citoyens-agrégés, ne pouvons-nous envisager l’épanouissement humain que via la rentabilité comptable ?  Bien-sûr, cela provoquera la faillite économique de pans entiers du présent système de gestion des biens. (qui reste un des plus inégalitaires jamais créés puisque 0.5% de la population mondiale détient 36% de sa richesse).

Parlant de juste rétribution : celle-ci doit-elle être à tout prix monétaire ? Avec une telle logique, nous nous dirigeons plutôt vers une faillite d’idées et de solutions viables pour faire face aux grands défis qui nous attendent !
Mesdames, messieurs les législateurs, la « Neutralité du Net » est le premier pas d’un marathon que nous allons tous courir et qui nous mènera, espérons-le, sur des voies ouvertes aux progrès individuels et collectifs dans le respect de la personne, du vivre-ensemble et de la planète.

B.Fostier,
Coordinateur Education permanente

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